Abdessamad Sentissi, coordonateur au Tamkeen Center: « Il faut mutualiser les moyens des TPME, en ville comme dans les campagnes »
- mai 31, 2022
- Publié par : Tamkeen
- Catégorie : Appui au financement
Par Sabine Cessou, journaliste et consultante pour Eina4jobs
Abdessamad Sentissi est coordonnateur des programmes d’accompagnement de Tamkeen Center, un accélérateur de projets. Ce réseau, qui a contribué en tant que partenaire à la mise en œuvre au Maroc du projet régional Souk at-Tanmia de soutien aux TPME porté par la Banque africaine de développement (BAD), est présent physiquement dans cinq villes (Oujda, Meknès, Rabat, Casablanca et Agadir). Il agit notamment en partenaire des Technoparks, pour accompagner des entreprises qui s’y installent lorsqu’ils ouvrent, comme à Oujda, Meknès, Tanger et Agadir.
Par quoi passent les programmes d’incubation Tamkeen ?
Notre accompagnement est d’abord local, sans confusion entre « programme » et « incubateur », car il existe une pléthore de programmes par nature éphémères. Ceux-ci témoignent de l’essor de la problématique de l’entrepreneuriat depuis 10 ans. Une bonne chose, car auparavant, on parlait simplement du chômage des jeunes. Il existe depuis 20 ans au Maroc un programme structurant qui est celui de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), général et permanent, qui englobe l’entrepreneuriat. Cependant, l’appui à l’entrepreneuriat est généralement considéré sous l’angle financier, alors que ce n’est pas la seule solution.
Faut-il des « soft skills« , soit de l’intelligence relationnelle et des capacités de communication particulières pour entreprendre ?
Avant d’aborder la question des soft skills, un terme auquel je préfère celui de mindset (« état d’esprit »), parlons d’abord de hard skills, c’est-à-dire des compétences techniques existantes. Autrement dit, que savez-vous faire ? Êtes-vous prêts à désapprendre et réapprendre ? Ici se trouve le premier obstacle à l’entrepreneuriat.
Heureusement, les compétences « dures » existent. Des milliers de jeunes techniciens – dans l’informatique, la mécanique, l’électronique et bien d’autres domaines – sortent chaque année des centres de formation professionnelle. Les personnes ayant appris des métiers s’avèrent plus prêtes à entreprendre que les étudiants venant de filières universitaires et qui se lancent dans l’entrepreneuriat faute d’emploi. Dans leur cas, entreprendre nécessite une reconversion, un processus plus lourd. Aujourd’hui, on voit plus d’entrepreneurs qui le sont par nécessité que par vocation. L’auto-emploi, un palliatif au chômage, est-il durable ? Le taux d’échec paraît très élevé.
Faire un bootcamp à Casablanca puis un programme d’accélération à Agadir, est-ce de la dispersion ?
En effet, dans le temps et dans l’espace. Un bootcamp peut susciter des vocations et inciter des gens à penser autrement, mais il ne suffit pas. Les jeunes porteurs de projets, en quête de plusieurs petits financements, suivent en général plusieurs programmes, mais dans 7 cas sur 10, ils ne sont pas suivis par une structure.
Il faudrait idéalement que toutes les initiatives soient raccordées à quelque chose d’autre, avec un suivi direct et homogène. Quoi de mieux qu’un centre physique, comme une Maison des jeunes ou une association locale spécialisée ? J’insiste sur ce point : un suivi personnalisé est nécessaire dans toutes les phases du projet d’entreprise, comme le parcours tracé pour un sportif ou un artiste, avec un système de pépinières qui représentent des espaces physiques et durables.
L’acte d’entreprendre ne consiste pas à aller chercher un crédit mais à avoir un projet de vie, une vision. Par exemple, un jeune qui a un food truck aujourd’hui peut se dire qu’il aura demain un restaurant ou plusieurs. Un autre qui répare des vélos peut se projeter dans la création d’une chaîne d’ateliers de réparation. De ce point de vue, demander et obtenir des conseils relève du service public, au même titre que les services de santé ou d’éducation publics. Un lieu où pouvoir s’informer, suivre une formation et rencontrer des professionnels constitue un point d’ancrage, un catalyseur.
Connaissez-vous un exemple allant dans ce sens ?
Oui, il existe un projet pilote à Rabat-Salé-Kénitra de Centre régional des jeunes entrepreneurs agricoles (CRJEA), conçu comme un lieu où l’on trouve des gens du métier, ayant la fibre et la compétence pour suivre les jeunes dans la durée, les aider à s’installer sur un marché en trouvant des partenaires, des débouchés, des clients. Ce type de centre fonctionne aussi comme une agora : il permet de se rencontrer.
Le monde agricole a une politique claire et précise : un programme structurant, le Plan Maroc Vert, s’est fixé des objectifs chiffrés sur 10 ans. Il a été suivi par Génération Green, là encore sur 10 ans, porté par une entité unique, le ministère de l’Agriculture, qui a le plein pouvoir et les responsabilités. Du côté des bénéficiaires, on trouve un microcosme à l’image des entreprises, avec des agriculteurs vivriers qui ont leur petit lopin et/ou leur petit cheptel, les TPE et les PME, avec des habitants de zones rurales qui ont des hectares et ont gagné en taille, puis les grosses exploitations qui appartiennent à des investisseurs.
Le ministère de l’Agriculture équipe les plus petits opérateurs par le biais de subventions. Si vous voulez refaire votre puits, une pompe solaire peut être installée, et si vous voulez optimiser votre irrigation, c’est possible de le faire financer à 100 % pour une surface de moins de 5 hectares.
Afin de lutter contre l’éparpillement, le ministère encourage l’agrégation, les coopératives et les groupements d’intérêt économique (GIE) pour gagner en taille, en force commerciale et économique. Cela se fait dans les campagnes, mais malheureusement pas en ville, où des jeunes louent des locaux dont ils n’ont pas besoin juste pour monter un dossier et obtenir un crédit. Or, avoir des bureaux ou des ateliers sous-utilisés, c’est déjà perdre en compétitivité.
S’agit-il de partager des moyens de production pour en faire des biens communs ?
Ce modèle est vivace en Afrique, en Asie et en Amérique latine : l’idée qui le sous-tend, c’est que les différents opérateurs sur le marché ne sont pas que des concurrents. Les tanneurs de Fès, par exemple, opèrent en coopérative pour mutualiser des équipements ou des lieux de travail. Au lieu d’acheter chacun un tour mécanique, pourquoi ne pas créer un atelier avec un tour commun ? Des usines allant livrer ou s’approvisionner au même endroit peuvent affréter un seul camion, au lieu de moyens de transports sous-utilisés qui représentent des charges supplémentaires… Dans la campagne, nous avons cette culture, mais pas en ville.
Pourquoi dites-vous que l’accès aux financements n’est pas la panacée, alors qu’il semble manquer ?
Tamkeen a lancé un programme d’accélération pour les TPE qui va proposer 10 % de temps en coaching et de conseils en marketing, et mettre le reste du budget sur le go-to-market : tout de suite, il s’agit de trouver des commandes, des clients, et si besoin des financements. La première étape consiste à asseoir les entreprises sur le marché. Ne penser qu’au financement, c’est courir le risque de créer de la dette et de l’échec.
Si j’emprunte 10 MAD je dois en faire 100 en chiffre d’affaires, et non 20. En outre, le Maroc est doté d’un « credit bureau », une centrale des risques : si vous êtes passé par la case Intelaka (programme d’appui au financement des entreprises de Tamwilcom, NDLR) avec un échec, vous serez fiché. Lorsque vous voudrez revenir emprunter, on vous signalera vos impayés. Aider les entrepreneurs, ce n’est pas leur donner du crédit, mais les accompagner pour trouver des clients et savoir leur dire : « Ce logo ne reflète pas votre stratégie, ou cet emballage, il faut le revoir« . En réalité, la majorité des entrepreneurs a besoin de go-to-market – toutautant, si ce n’est plus, que de finances.